Toutes les quatre ou cinq minutes, le sol gronde sous mon tabouret, et j’ai un petit frisson. On est serrés comme des sardines dans cette salle étroite au-dessus de la ligne de métro le long de Bloor, et le maquereau est mon prochain arrêt : les filets grillés avec tomates rôties et riche aïoli sont pleins de saveurs umami onctueuses.

Les deux costauds et barbus vétérans de la scène culinaire locale, Chris White et Jon Nicolaou, se ressemblent assez pour justifier le nom de cette place. Nicolaou se cache derrière, épluche asperges et fenouil et les assaisonne d’une folle vinaigrette chardonnay-anchois. Pendant ce temps, White réchauffe la salle en lançant des boutades : « Au fond, je suis une sorte de concierge de luxe », dit-il.

Il n’y a rien de réservé dans le carpaccio de Nicolaou. Des rondelles de filet de bœuf servent de canevas carmin aux endives en julienne, aux noix hachées et à la généreuse dose d’huile d’olive des Abruzzes, d’abord fruitée en bouche, puis herbeuse. La sommelière Courtney Stebbings propose d’accompagner le plat d’un vin jaune. Tel un xérès sur les stéroïdes, son côté oxydé attache ensemble tous ces flamboyants arômes amers.

Le carrelage mural tacheté de lumière scintille sous les lampes bistro givrées. Nous entamons davantage la soirée avec un grüner autrichien et un pinotage sud-africain. Mon esprit revient à cette huile d’olive. White décèle mon enthousiasme et m’offre de goûter au contenu de la bouteille. «Je te laisserais repartir avec, mais on est déjà restreints jusqu’à notre livraison de mercredi », lance-t-il. Il ajoute, à la blague : « On n’est pas très bon côté planification et assez mauvais avec l’argent, mais les choses marchent quand même. » J’emporterai ton secret dans ma tombe, mon frère.